À 77 ans, Perla Servan-Schreiber a choisi de nous transmettre ses « 77 secrets de vie », dans un carnet aussi petit de taille qu’il est grand de sagesse. Rencontre avec une femme exceptionnelle pour profiter de bulles de joie inspirantes, à méditer, savourer et partager.
Vous écrivez « Transmettre est mon chemin de vie. » C’est d’ailleurs le fil rouge de tous vos livres, notamment culinaires. La transmission, c’est ce qui vous nourrit ?
Perla Servan-Schreiber : Oui, j’ai l’impression que c’est en moi, c’est presque un de mes membres. Ça m’est naturel, c’est vraiment une question d’éducation. On m’a élevée avec l’idée que l’autre était prioritaire par rapport à soi et qu’il était important de faire cette chaîne humaine qui passe par la transmission. Ce que j’ai découvert ensuite, c’est que la transmission m’enrichit moi. On peut considérer cela du point de vue égoïste, mais il se trouve que les deux se confondent. J’ai découvert plus tard que le fait de transmettre, de partager ce que nous comprenons de la vie, ce que nous ressentons des autres et de soi, tout cela nous enrichit incroyablement.
Vous venez d’éditer vos « 77 secrets de vie ». J’imagine que vous en aviez beaucoup plus à partager. Comment les avez-vous sélectionnés et choisis ?
P. S-S. : En fait, je me suis fait aider. Dans la vie, quand on est incapable de faire des choses seule, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. C’est aussi l’un des secrets de la vie : n’hésitez pas à demander de l’aide, ça grandit également les autres ; ils sont heureux de le faire, beaucoup plus souvent qu’on ne croit. On pense qu’on va déranger, importuner, parce que ça fait partie de notre éducation de ne pas demander, par peur de gêner. C’est terrible et ça ne nous rend pas service. Pour créer du lien, il est important de donner, mais n’hésitez pas à recevoir de l’aide également. Si vous n’en demandez pas, vous aurez peu de chance d’en recevoir. Vous l’aurez compris, le tri de ces 77 secrets, je l’ai fait avec mon groupe d’amies. De ce dialogue socratique sont sorties ces 77 petites perles de vie. Du coup, j’en prépare d’autres !
Si je vous demandais de sélectionner, sur les 77, les 2 ou 3 secrets qui résonnent le plus en vous à l’instant présent ?
P. S-S. : Le premier, c’est mon ambition la plus intime et c’est celui qui ouvre le livre : « L’acceptation joyeuse de la réalité ». Accepter ce qui vous arrive, cela ne veut pas dire que vous allez vous résigner, cela veut dire que vous allez vous autoriser à y réfléchir et ensuite à dire oui ou non. Et si vous pouvez le faire dans la joie, c’est encore mieux, parce que la joie apporte une dimension de puissance qui augmente vos propres capacités pour accepter ou refuser ensuite quelque chose qui vous mettrait un peu en danger. Or nous savons toutes et tous qu’il est important de se mettre en danger pour avancer. Même s’il nous arrive de reculer, parce que c’est humain, la joie nous permet d’aller au-delà, vers l’acceptation joyeuse de la réalité. Ce qu’il y a de plus fort que soi, c’est la réalité. Le réel, c’est toujours lui qui a raison. On peut changer sa manière d’appréhender la réalité, mais on ne peut pas changer la réalité.
«Ce livre-doudou a un but : vous faire du bien. Vous transmettre, en quelques mots, l’essentiel d’une vie, et éclairer votre chemin. Alors, gagnez du temps et souriez à la vie.»
Et le deuxième ?
P. S-S. : Le deuxième secret, que j’ai mis au n°77 à la fin du livre, c’est « Fais de ton mieux ». Il n’est pas question de culpabiliser qui que ce soit. Chacun fait ce qu’il peut, à condition de faire de son mieux. Car en faisant de son mieux, on pourra peut-être faire mentir le grand Aragon qui disait « Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard ». Ce qui m’a motivée à écrire ce petit livre, alors que c’est très difficile d’écrire très court, dans un moment très compliqué, pour ne pas dire horrible, de ma vie (NDLR : Jean-Louis Servan-Schreiber nous a quittés le 28 novembre 2020), c’est qu’il puisse me donner beaucoup de travail. Donc, j’ai essayé moi aussi de faire de mon mieux, mais j’ai été portée par une ambition folle, celle de faire gagner du temps à ces jeunes qui m’entourent, à mes petits-enfants particulièrement, qui ont pour certains une trentaine d’années. « Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard » : je me rends compte du temps que j’ai mis à comprendre des choses d’une telle simplicité ! Alors que ce n’est pas une question de capacités. Ça restera pour moi un mystère, une interrogation, pourquoi met-on autant de temps à comprendre des choses aussi simples ?
Vous écrivez qu’il n’y a pas d’âge pour réapprendre à vivre. C’est ça le secret d’épanouissement pour vieillir en forme ?
P. S-S. : Oui, je le crois, bien sûr. Il n’y a pas d’âge pour réapprendre à vivre. Je crois même que c’est ce que nous faisons chaque jour, chacun, chacune. Qu’est-ce que nous faisons d’autre ? Tout le monde s’agite, mais au fond, quand on arrête de tourner comme un moustique, on se rend compte qu’il arrive qu’on ait appris quelque chose, qu’on n’ait pas fait que réfléchir à régler des problèmes. Aimer, rire et mourir, est-ce qu’on l’apprend vraiment chaque jour ? Je trouve qu’il y a des journées un peu perdues quand même. On ne prend pas la peine d’apprendre chaque jour une petite chose, parce qu’il y a la vie quotidienne, le travail, les soucis… Il me semble que dans ce que j’ai pu apprendre de la vie, et que j’ai synthétisé dans ce petit ouvrage, peut-être qu’un lecteur y trouvera une chose, même infime, pour se questionner, avancer, ouvrir une voie. C’est cela que j’ai eu envie de faire. C’était donc d’une ambition folle !
Vos perles de sagesse se dégustent comme des mezzé. En quoi la cuisine est-elle essentielle dans votre vie ?
P. S-S. : La cuisine est vraiment centrale dans ma vie. Il est difficile de résumer en quelques mots tout ce qu’elle m’apporte. Il y a quatre dimensions. La première, sa dimension artisanale et manuelle, m’est très chère. Il me paraît essentiel pour l’équilibre et l’harmonie d’un être humain de faire quelque chose de manuel. Certaines personnes ont le talent de jouer d’un instrument de musique, moi je me contente de faire à manger. Au-delà de cette dimension manuelle, la deuxième dimension, c’est celle de la gourmandise. Je suis très gourmande et je n’aime rien tant au monde que de nourrir et de faire plaisir avec des saveurs et des odeurs. Pour moi, c’est un langage, je parle aux gens de cette manière, c’est ma façon de leur témoigner mon affection, toujours avec cette bizarre obsession que j’ai d’apporter plus d’humanité dans les liens et les relations. Je suis dans le dernier parcours de ma vie, mais pour toute cette jeunesse, je suis au moins autant préoccupée par l’écologie que par le déficit d’humanité, qui sont d’ailleurs une seule et même chose. Faire à manger, offrir à manger et servir à manger – je tiens absolument à ces trois étapes – même les plats les plus simples – c’est une place qui selon moi ne peut pas rester vacante dans une famille. Dans le passé, faire la cuisine était souvent une aliénation pour les femmes. Aujourd’hui, on est passé de l’aliénation à la distinction. Il y a dans cet acte-là, quelque chose de sacré qui est irremplaçable pour tisser les liens d’une famille et plus largement d’un groupe social.
« Ça restera pour moi un mystère, une interrogation, pourquoi met-on autant de temps à comprendre des choses aussi simples ? »
Vous parlez de deux autres dimensions ?
P. S-S. : Oui, la troisième dimension, c’est que dès j’enfile mon tablier en lin blanc et que je rentre dans ma cuisine, je suis déjà dans un autre état intérieur. C’est une méditation. On enfile une tenue spéciale pour faire de nombreux sports – du judo, de l’escrime, de la danse… – pour la cuisine, c’est la même chose. On est là dans la fonction du vêtement la plus puissante, celle qui nous fait entrer, endosser, appartenir à un autre univers que le nôtre. Donc, je mets mon tablier et je suis déjà dans une autre attitude intérieure. Et quand mes mains se mettent à travailler et ma tête avec, je ne peux plus penser qu’à ce que je fais. Donc cette présence à moi-même, pleinement dans le moment présent, c’est la définition même de la méditation. Et la quatrième dimension de la cuisine, c’est bien entendu le partage.
Que pensez-vous du regard de la société sur les femmes de plus de 50 ou 60 ans ?
P. S-S. : Le regard de la société, globalement sur les femmes de plus de 45 ans, est à mon avis consternant, et cela durera tant qu’on dira à une femme de plus de 45 ans qui cherche du travail qu’elle est trop vieille. Ça, c’est un fait qui ne bouge pas assez vite. Il y a bien sûr des exceptions et il existe aujourd’hui des associations comme Force Femmes qui font un travail formidable pour que les mentalités changent dans le monde de l’entreprise. Mais je crois surtout que chacune et chacun d’entre nous devrions faire des efforts pour que ça bouge un peu plus vite. Car chaque homme ou chaque femme aujourd’hui, dans son entourage, connaît forcément plusieurs femmes de 50, 55, 60, 65, 70, 75, 80, 85 ans, qui sont formidables : élégantes, énergiques, autonomes, actives. Ça, c’est la réalité !
Que faire pour changer le regard de la société ?
P. S-S. : J’encourage, autant les femmes que les hommes, à écrire sur l’âge et sur cette nouvelle vieillesse. Je l’ai fait à ma modeste place. Il me semble que ça a déjà rendu service à de nombreuses personnes, mais c’est une goutte d’eau dans la mer. Il faut qu’il y en ait de plus en plus, tant dans la presse écrite que dans l’édition et dans tous les médias. Et si possible, sans ce mot ignoble de « senior » – pardonnez-moi – car ce mot est un sparadrap pour ne pas utiliser le mot « vieillesse » qui est d’après moi un très beau mot. On me dit, d’essayer d’en trouver un autre, je dis non, je n’ai pas besoin d’en trouver un autre ! Moi, je suis fière et heureuse d’être vieille et de vieillir telle que je vieillis, grâce à la science, à la médecine, aux conseils de vie (alimentaires, sportifs, etc.) dont j’ai pu bénéficier.
« Il faut que nous soyons nombreux à changer l’imaginaire de la vieillesse. Moi, je suis fière et heureuse d’être vieille et de vieillir telle que je vieillis. »
C’est un fait. Les femmes de plus de 50 ans d’aujourd’hui ne ressemblent plus du tout à celles d’hier.
P. S-S. : Ma génération des baby-boomers est la première génération qui ait été surprise par la vieillesse. A 75 ans, je me suis dit, « c’est incroyable, j’ai 75 ans ! » A 35 ans, ma grand-mère s’était arrêtée de s’habiller de la même façon, elle ne sortait plus de chez elle. Elle était une femme heureuse, mais c’était une femme cloîtrée. Avec ma mère, déjà, ça avait un peu changé, elle n’était plus une femme cloîtrée, mais c’était quand même une femme qui ne pouvait en rien redémarrer une nouvelle vie. Alors que moi, je me suis mariée à 43 ans, j’ai créé à 60 ans avec mon mari, qui avait alors presque 70 ans, un nouveau magazine. Il faut donc que nous soyons nombreux à changer l’imaginaire de la vieillesse. Mes petits-enfants ont aujourd’hui une autre image de leurs grands-parents qu’ils voient actifs et en forme à 75 ans et qu’ils suivent sur leur compte Instagram ! Donc pour cette génération-là, qui a 25/35 ans aujourd’hui, ça ira déjà mieux. Je remercie d’ailleurs énormément Sophie Fontanel, que je trouve de plus en plus belle avec les années dans son corps et dans ses pensées, pour tout ce qu’elle fait, car elle participe avec d’autres femmes à changer cet imaginaire de la vieillesse.
Vous nous encouragez à vieillir joyeusement, car la vie, ça passe vite. C’est quoi la recette n°1, cultiver son lien aux autres ?
P. S-S. : Il y a aussi un bénéfice exceptionnel à celui de vieillir – il faut que nous soyons de plus en plus nombreux à le dire, à l’écrire – à condition ne pas être malade et à condition de cultiver le lien social en effet, car le drame de l’âge, ce ne sont pas les rides, c’est l’isolement. Il faut toujours cultiver le lien aux autres, si possible des liens intergénérationnels. Il est essentiel de garder un contact permanent avec les autres générations et de faire tomber ces frontières-là.
Propos recueillis par Valérie Loctin.