Rencontre avec la journaliste Corinne Lalo pour comprendre ce qui nous empoisonne à notre insu et recevoir ses précieux conseils pour se protéger au maximum de tous les toxiques qui nous entourent. Car si nous sommes cernés par les perturbateurs hormonaux, nous pouvons apprendre à les reconnaître et ainsi à mieux les éviter.
Après votre précédent « Livre noir du médicament », pourquoi celui-ci sur « Le grand désordre hormonal » ? Pour nous informer et nous mettre en garde avant tout ?
Corinne Lalo : Oui, tout à fait, c’est pour lancer une alarme sur le fait que les poisons chimiques peuvent être contenus dans différents éléments : dans les médicaments, les pesticides, les plastiques durs ou mous, les perfluorés, les polybromés, les parabènes, etc. J’ai réuni tous ces toxiques, tous ces poisons, au sein de 6 familles que j’ai appelées les « 6 P », avec P pour « Poisons » : Pesticides, Plastifiants (Bisphénols dans les plastiques durs et Phtalates dans les plastiques mous), Perfluorés (Pfas et Pfos dans les antitaches, les antoadhésifs, les imperméabilisants), Pharmaceutiques (ce sont tous les médicaments, les produits et additifs alimentaires), Parabènes (Conservateurs des cosmétiques et médicaments) et Polybromés (retardateurs de flamme bromés). Dans mon « Livre noir du médicament », je ne parlais que d’un des 6 P, alors que ce nouveau livre les présente tous. Tous ces produits sont des molécules chimiques issues du Pétrole (P comme Pétrole) qui vont imiter des molécules naturelles de l’organisme, qui sont des molécules des hormones. Ce n’est pas un hasard si ça imite des molécules du vivant, parce qu’à l’origine le pétrole ce sont des plantes, donc du vivant. Donc ce n’est pas étonnant qu’il y ait une sorte de correspondance chimique avec les arômes des êtres vivants, sauf qu’au lieu de créer un cercle vertueux, ça enclenche un cercle vicieux.
Pourquoi notre santé est-elle en danger ?
C.L. : Notre santé est en danger, car ce sont toujours les mêmes poisons chimiques qui seront à la manœuvre dans les nombreux dysfonctionnements et maladies. Le dérèglement induit par les perturbateurs chimiques va toucher tous les organes qui dépendent des hormones. C’est donc l’ensemble de l’organisme qui va en pâtir. En effet, le système hormonal interagit avec le système nerveux et le système immunitaire. On sait depuis peu que tous ces systèmes sont également en étroite relation avec la flore intestinale, que l’on appelle désormais « microbiote ». On va donc, par effet domino, assister à une désorganisation systémique de presque toutes, sinon toutes, les fonctions physiologiques du corps.
C’est pourquoi vous parlez de « grand désordre hormonal » ?
C.L. : C’est en effet ce « grand désordre hormonal » que je décris dans mon livre. Mais le plus grave, c’est qu’il va aussi affecter les fonctions capitales de la reproduction et de l’activité sexuelle (infertilité, orientation et différenciation sexuelles), de la multiplication et de la spécialisation des cellules (cancers), de l’équilibre énergétique et glucidique (thyroïdites, diabète, obésité), du fonctionnement du système nerveux (autisme), du système immunitaire (allergies, asthme, susceptibilité aux infections), etc. En déréglant l’homéostasie hormonale, les perturbateurs hormonaux ne peuvent qu’exercer un effet délétère sur l’organisme. Un toxique hormonal est donc « une substance chimique étrangère à l’organisme qui dérègle l’homéostasie hormonale ». Les perturbateurs endocriniens peuvent être d’origine naturelle (hormones naturelles, comme les estrogènes), mais le plus souvent ils sont d’origine synthétique (estrogènes de synthèse, antibiotiques, agents plastifiants, produits phytosanitaires, médicaments, cosmétiques, détergents, etc.).
« La société toute entière est en train de perturber le vivant par le biais de poisons qui vont attaquer les hormones. Ce ne sont pas des intoxications aiguës, mais des intoxinations chroniques, lentes et insidieuses, qui vont perturber jusqu’à la reproduction même des êtres vivants. »
Pourquoi la société et les pouvoirs publics sont-ils dans le déni face à cet enjeu majeur de santé publique ?
C.L. : Le problème, c’est que le savoir et l’expertise dans notre société sont fractionnés, et la connaissance est de plus en plus complexe. Plus vous allez loin dans un domaine scientifique, plus vous devez être spécialiste et compétent, et du coup, moins vous êtes généraliste. Les scientifiques, qui sont pourtant très compétents dans le domaine qui est le leur, oublient d’avoir une vue générale, ou plutôt ils ne peuvent pas, car ils manquent de temps. Les pouvoirs publics sont eu aussi fractionnés, les journalistes qui mènent des enquêtes également. Ma particularité, c’est d’avoir traité un peu tous les domaines comme journaliste et grand reporter, dans de multiples services. Ce qui m’a donné une vue plus large. Ce livre extrêmement documenté est le fruit d’une expérience journalistique de plus de 35 ans et de plus d’un an de rédaction, après avoir lu, analysé et repris tous les articles scientifiques parus en langue anglaise sur chaque produit et dans chaque domaine que j’ai analysé. En plus, tout est sourcé dans ce livre, en faisant un pont entre la connaissance scientifique et la vulgarisation grand public. Je l’ai écrit avec cette prise de conscience que la société toute entière est en train de perturber le vivant par le biais de poisons qui vont attaquer les hormones. Ce ne sont pas des intoxications aiguës, mais des intoxinations chroniques, lentes et insidieuses, qui vont perturber jusqu’à la reproduction même des êtres vivants.
Parlez-nous justement des incidences de ces toxiques sur la reproduction.
C.L. : Cela a des incidences sur la reproduction à la fois des animaux et des humains. Les premiers problèmes sur la reproduction ont été observés dans les années soixante aux Etats-Unis, au moment où il y a eu des épandages massifs de DDT sur les cultures, les forêts, les prairies, pour lutter contre les invasions d’insectes de toutes sortes. Ils ont arrosé des milliers et des milliers d’hectares. Les naturalistes se sont alors aperçus que les aigles à tête blanche, emblèmes du pays, ne se reproduisaient plus, et que c’était vrai aussi pour des poissons, des baleines, et des espèces de toutes sortes. Le phénomène s’est tellement développé que c’est tout le vivant qui est en voie de disparition, parce que les espèces ne se reproduisent plus, en raison d’hormones perturbées par la contamination toxique. On voit alors apparaître des alligators avec des micropénis, des femelles avec des microkystes, des grenouilles qui deviennent hermaphrodites avec des mâles qui ont des organes reproducteurs moitié testicules et moitié ovaires, des poissons féminisés notamment à Londres dans la Tamise, des mâles qui portent des œufs… tout cela à cause d’eaux rejetées par les stations d’épuration ; ces mêmes eaux qui sont ensuite retraitées pour les humains… mais qui ne filtrent pas tous les toxiques. De plus, chez les animaux on s’est aperçu que la modification des organes peut jouer aussi sur la modification des comportements sexuels.
Les six perturbateurs hormonaux que l’on va retrouver le plus souvent dans les atteintes à l’intégrité physiologique des organismes, sont baptisés par Corinne Lalo les « 6 P » – « P » pour « poisons » (issus du Pétrole) :
• Pesticides • Plastifiants • Perfluorés • Pharmaceutiques • Parabènes • Polybromés.
Quelles conséquences sur la reproduction humaine ?
C.L. : On voit bien, notamment avec le scandale du Distilbène, que ce qui se passe sur les animaux peut avoir les mêmes conséquences sur les humains. Les perturbateurs endocriniens peuvent entraîner les mêmes malformations sur la descendance et les mêmes incidences dramatiques sur la reproduction humaine. Les scientifiques danois ont été les premiers à analyser le sperme des hommes et ils se sont aperçus qu’en trois générations les hommes avaient perdu jusqu’à 60% de la concentration en spermatozoïdes. Ça a continué. Résultat, aujourd’hui, on est à moins 70% de concentration en spermatozoïdes dans le sperme que dans les années quarante ! Ça explique les nombreux problèmes de fertilité que rencontrent les jeunes couples, car le recul de l’âge de la conception n’explique pas tout. Vous avez un quart des jeunes couples qui n’arrive pas à concevoir après un an d’essai. En France, des études ont été réalisées, et on arrive au même taux qu’au Danemark. Et chez les agriculteurs français, on a vu qu’il y avait un lien direct avec les épandages de pesticides qui ont été réalisés sur les cultures. Idem avec les plastiques qu’on retrouve dans la mer, chez les poissons et donc dans la nourriture qu’ingèrent les humains.
« Si les polluants chimiques sont trop nombreux, ils débordent le système détoxifiant et détruisent les communications chimiques et électriques de la cellule. »
Vous expliquez que ces toxiques et perturbateurs endocriniens sont responsables aussi de nombre de maladies qui sont devenues chroniques. Alors que faire ?
C.L. : En effet, d’autres maladies sont liées aux perturbateurs endocriniens et aux « 6 P » : autisme, thyroïde, obésité, diabète, allergies, endométriose, asthme… Alors que faire ? Dans les derniers chapitres du livre, je prends une journée type, et j’explique comment slalomer entre les toxiques H24, dans la chambre, à la cuisine, à la salle de bain et au bureau. J’analyse dans chaque endroit comment on peut éliminer ou du moins réduire les hormono-toxiques.
La première action, c’est au niveau de l’alimentation ?
C.L. : Je ne suis pas pour culpabiliser les gens. Donc chacun doit faire comme il peut. Mais globalement, il faut chercher à éliminer tous les hormono-toxiques contenus dans l’alimentation. Ça commence par les pesticides, les additifs alimentaires. Cela veut donc dire manger bio, frais, de saison, local, non transformé. Bien lire les étiquettes. Regarder dans quoi on cuisine. Il faut bannir tous les ustensiles en plastique, les poêles en Téflon. Il ne faut garder que des matériaux nobles : du verre et de l’inox. Vos lecteurs doivent savoir aussi que l’intérieur des boîtes de conserve et des canettes de soda a le plus souvent une pellicule pour éviter que l’aliment soit en contact avec le métal. Le problème, c’est que cette pellicule en plastique est souvent faite d’une résine époxyde à base de bisphénol A, qui était à l’origine dans la formule de pilules contraceptives féminines. Alors quid des conséquences chez les jeunes garçons qui boivent des sodas en canette tout au long de la journée ? De plus, il ne faut acheter que des conserves de poissons ou de légumes dans du verre. Il faut également éviter de chauffer au micro-ondes car on utilise souvent des récipients en plastique. Et puis au bureau, il faut emporter son mug et sa gourde en verre pour boire. Chez soi, on peut aussi utiliser un filtre en céramique pour ne boire que de l’eau filtrée. Et puis attention aux emballages des plats à emporter ou que vous vous faites livrer chez vous ; même dans les emballages en carton, il y a des pellicules qui peuvent contenir des toxiques.
Et en termes de beauté et d’hygiène ?
C.L. : Il faut bien entendu utiliser des produits bio, et éviter les parfums, y compris des grandes marques, comme les savons liquides. Le mieux est de choisir du savon dur de Marseille, d’Alep ou d’ailleurs. Bref, il faut bannir tout ce qui contient des parfums synthétiques, parce que ce sont des arômes, donc des perturbateurs hormonaux.
Un message essentiel pour conclure ?
C.L. : Mon message n°1 s’adresse aux femmes qui veulent devenir mères comme aux femmes enceintes : Evitez au maximum tous les poisons toxiques qu’on a énumérés. Je leur dis « zéro médicament pendant toute la grossesse, même pas un cachet de paracétamol ». Et je leur conseille même de s’y prendre bien avant la grossesse, en se dégorgeant de tous les toxiques hormonaux avant même de concevoir.
Propos recueillis par Valérie Loctin.
SON DERNIER LIVRE
Le grand désordre hormonal
Le principal danger pour notre santé ne vient pas des virus, mais des produits chimiques qui ont envahi notre environnement quotidien et dérèglent notre système hormonal : les perturbateurs endocriniens. En cinquante ans, les hommes ont perdu plus de la moitié de leurs spermatozoïdes et leur testostérone décline. Les femmes voient leurs capacités de reproduction décroître avec la montée de nouvelles maladies ovariennes. Les cas d’autisme et d’allergies explosent chez les enfants. Des maladies autrefois rarissimes comme le diabète, l’obésité, les dysfonctions de la thyroïde, l’endométriose deviennent communes. Cette perte de potentialité n’est pas propre à l’espèce humaine, c’est toute la biodiversité qui est menacée. Dans cette enquête minutieuse et extrêmement documentée, la journaliste Corinne Lalo dresse un pont entre la recherche scientifique et le grand public pour nous alerter, nous informer et nous éclairer.
De Corinne Lalo, Le Cherche Midi, 560 p., 19 €.