Et si la cinquantaine était le début d’une nouvelle étape de vie ? C’est la question essentielle que pose Sophie Dancourt dans son dernier livre. Rencontre pour lutter contre les diktats et mettre fin à toutes les idées reçues sur ce nouvel âge d’or qui commence à 50 ans.
Vous êtes devenue une activiste du vieillissement optimiste. Qu’est-ce qui vous a conduit à valoriser et écrire sur les femmes de plus de 50 ans ?
Sophie Dancourt : J’ai un parcours de journaliste assez classique dans des magazines grand public, avant de travailler pour de la presse territoriale à Trouville-sur-Mer. Et puis, quand j’ai passé le cap de la cinquantaine, je trouvais qu’il n’y avait rien dans la presse traditionnelle qui parlait des femmes de ma génération, ou alors elle les présentait comme des archétypes de femmes plus jeunes, restant minces, sans rides et sans cheveux blancs, avec une très forte injonction au jeunisme. Bref, une presse dans laquelle les femmes de ma génération ne se retrouvaient pas. Du coup, je me suis rendu compte qu’on n’existait pas, car on n’était pas représentées dans l’imaginaire sociétal. J’ai donc décidé d’écrire sur le sujet en commençant par un blog, puis peu à peu, l’idée m’est venue de participer à la création d’une représentation sociétale de cette génération, puisque nous sommes environ 10 millions de femmes actives en France qui passons sous les radars après 45/50 ans. Ce phénomène de disparition me semblant inquiétant, je suis allée plus loin en devenant éditrice de presse digitale sur ce sujet, en démarrant dans un incubateur d’entreprises. Et ce pour deux raisons. D’une part, parce qu’on a l’impression de passer directement de nos 40 ans à grand-mère, avec une invisibilité des femmes à la cinquantaine. Et d’autre part, parce que j’avais envie de donner une autre image des femmes qui vieillissent à nos filles et à nos fils parce qu’elles restent super actives. L’idée, c’est de montrer que les plus de 50 ans sont ces femmes pleines d’expérience et sources d’un incroyable potentiel, et quelle puissance elles peuvent avoir dans la société d’aujourd’hui.
Votre nouveau livre est toujours dans cette idée de s’affranchir des codes du jeunisme. Existe-t-il une réponse à votre question de fond pleine d’ironie : « Vieille, c’est à quelle heure ? »
S.D. : Ma réponse personnelle est de dire que la vieillesse pour les femmes, dans les diktats de notre société, elle commence de plus en plus tôt. Avant, une femme « vieille » c’était une grand-mère. Maintenant, on voit bien dans le monde professionnel, que les difficultés des femmes dites « seniors » commencent à partir de 45 ans, et dans certains secteurs comme la Tech et les startups digitales, à partir de 35 ans, vous êtes déjà vieilles ! Finalement, c’est un critère toujours basé sur la fin de la fertilité chez les femmes, et quand la ménopause arrive, les femmes disparaissent parce qu’elles n’ont plus, entre guillemets, « d’utilité sociétale ». Et ça, c’est un fond inconscient qui traine depuis des millénaires et dont on a beaucoup de mal à s’affranchir. Du coup, le vieillissement est perçu comme une inutilité à la société, avec une disparition quasi automatique et sociétale des femmes de plus de 50 ans, et une double stigmatisation par l’âge et le sexisme.
« Notre génération est le chaînon manquant dans les représentations alors qu’elle est absolument indispensable à la société. »
Pourquoi dans notre société dit-on que les hommes « mûrissent » et que les femmes « vieillissent », avec des femmes quinquas souvent complices de leur propre disparition ou invisibilité ?
S.D. : Effectivement, il y a une grande partie des femmes qui a très bien intégré ces biais de l’agisme. J’entends souvent des femmes après la cinquantaine dire « A mon âge, je ne peux plus faire ci ou ça ». En fait, c’est une manière de se dévaloriser et d’accepter quelque chose qui est fondé sur rien. Il n’y a aucun élément tangible qui permette d’affirmer qu’après 50 ans on ne peut pas monter de boîte, qu’on ne peut pas changer de vie. On voit bien que ce pivot de la cinquantaine, il est important pour beaucoup de femmes, dans leur reconstruction sentimentale et familiale, comme dans leur vie professionnelle. Au moment où elles peuvent enfin révéler tout leur plein potentiel, on leur met un couvercle sur la tête dans les entreprises et on les remplace assez facilement. Il y a donc un vrai problème qui se double avec les projets de réforme des retraites. Car comment demander aux gens de travailler plus longtemps si vous les dégagez des entreprises à partir de 50 ans ? C’est un vrai problème de société, car on ne peut pas compter uniquement sur les générations Y et Z, on doit être dans un système sociétal et économique intergénérationnel.
Faut-il bannir selon vous des termes comme « senior » ou des expression comme « à mon âge » ? Est-ce que le changement de paradigme commence par la terminologie ?
S.D. : Oui, vous avez tout à fait raison, on a un très gros problème de vocabulaire. Dans la mesure où l’on n’arrive pas à nommer une représentation ou une génération, ça veut dire qu’on a un vrai souci. On est « senior » dans les jobs à partir de 45 ans et on le reste jusqu’à la fin de notre vie ! On est jeune, on est adulte, et puis tout de suite après, on commence à vieillir et on est « senior ». Sur mon groupe Facebook, j’avais fait un sondage auprès des femmes de ma génération en leur demandant comment elles voulaient être appelées et il n’y a rien de probant qui en est sorti. C’est fou, on ne trouve pas, y’a rien qui colle et qui soit évocateur. Ça prouve qu’on a un problème avec ça ! C’est d’ailleurs pour cela que j’utilise le mot « vieille » ou « vieux », parce qu’on a un vrai problème de société avec le vieillissement, alors qu’il existe tant de jeunes qui sont déjà vieux dans leur tête, et tant de soit-disant déjà vieux qui sont d’un dynamisme extraordinaire avec un mental au top. Tout cela est très révélateur d’une société qui met sous le tapis le vieillissement parce que ça lui fait penser à la mort.
Vous parlez d’une génération « ciment » qui fait le lien entre des enfants pas totalement sortis du cocon et des parents qui vieillissent. Expliquez-nous en quoi elle est essentielle.
S.D. : Notre génération est absolument essentielle dans la chaîne de transmission, alors qu’on a une charge mentale énorme aux côtés de nos parents et beaux-parents souvent dépendants. Si on n’était pas là, que se passerait-il ? Car on gère aussi les enfants ados et les jeunes adultes. On est le chaînon manquant dans les représentations alors qu’on est absolument indispensable à la société.
Changer les représentations est long, même si l’on commence à voir apparaître des icônes seniors dans les campagnes de pub. Comment aller plus vite ?
S.D. : Je crois que ça va se faire grâce aux femmes elles-mêmes, qui sont en train de montrer une nouvelle image de l’après cinquantaine sur leurs comptes Instagram, où chaque femme peut devenir son propre media et générer une autre culture et un autre regard. Plus les femmes se montreront comme elles sont, physiquement aussi, mieux ça sera. Les marques courent toujours derrière les changements sociétaux, d’où l’intérêt d’en devenir nos propres vecteurs. C’est assez étonnant d’ailleurs, parce que les politiques ne s’emparent pas de ce sujet, alors qu’ils sont en moyenne plus que cinquantenaires ! On a l’impression que celui qui vieillit, le « vieux », c’est toujours l’autre ! On a tous cette sorte de décalage horaire entre l’âge ressenti et l’âge biologique réel. Je crois aussi beaucoup aux jeunes femmes féministes qui ont déjà fait avancer beaucoup de choses pour qu’elles s’emparent aussi de ce sujet-là. Il faut que les nouvelles générations de femmes prennent cette question à bras le corps, parce c’est par elles aussi qu’on impulsera un changement de regard. On voit bien que ça commence, avec des campagnes de publicité où l’on découvre enfin des femmes aux cheveux blancs ou avec des corps qui changent, mais avec des égéries cependant beaucoup plus âgées comme Jane Fonda. On a donc toujours l’impression que les cinquantenaires sont la case qu’on a sautée puisque on visualise dans ces campagnes de publicité surtout des femmes de plus de 70 ans. C’est important de montrer aussi que les femmes de 50 ans, c’est toute une diversité, ce n’est pas un stéréotype. Il y a autant de physiques que de femmes. Les enfermer dans un stéréotype, c’est contre-productif.
« L’âge n’est pas un curseur et n’est en rien le marqueur de la valeur des gens. Il faut cesser d’attribuer de la valeur à la jeunesse et de la déficience à la vieillesse. »
Ça passe aussi par briser le tabou de la ménopause ?
S.D. : Oui, il faut vraiment cesser de parler de la ménopause de façon très négative. On la réduit à des symptômes. On peut remarquer une hyper médicalisation de cette transition, de ce passage physiologique, toujours imprimée sous l’angle de la déficience, du manque, de la carence. La ménopause est présentée en France et dans nombre de pays occidentaux comme une maladie qui entraîne cette stigmatisation, alors que sur d’autres continents, les femmes acquièrent une toute puissance à partir de 50 ans et deviennent même des chefs de guerre dans certaines tribus ou sociétés. Les regards ne sont absolument pas universels sur cette question-là. Ça commence à bouger heureusement, il y a de plus en plus de livres, de blogs, d’émissions, de comptes Instagram sur la ménopause avec des représentations enfin différentes du corps des femmes. Depuis la naissance, nos corps changent et continuent d’évoluer, chez les femmes comme chez les hommes. Pourquoi faudrait-il que ça se fige, qu’on fasse un arrêt sur image à la ménopause ? Ça n’a pas de sens !
Il y a un autre tabou à faire tomber, c’est celui de la sexualité après 50 ans ?
S.D. : Absolument ! C’est vrai que les déclarations de Yann Moix étaient absolument hallucinantes à ce sujet. Les femmes après 50 ans sont plus libres que jamais avec une connaissance parfaite de leur corps. Ce sont des atouts pour avoir une sexualité beaucoup plus affranchie et épanouie. Parler de sexualité après la ménopause, c’est extrêmement important, sans compter qu’il faudrait aussi éduquer les hommes au corps des femmes de plus de 50 ans, parce qu’on s’aperçoit que c’est quelque chose qui n’est pas transmis et dont on ne parle pas. Le comble, c’est que voici une période de la vie où les femmes sont beaucoup plus libres, puisqu’elles n’ont plus leurs règles, elles n’ont plus de contraception à prendre, alors que les hommes commencent à avoir de gros problèmes. C’est pour cette raison que certains tentent de se rassurer avec des femmes plus jeunes. Il est cependant intéressant de constater que les laboratoires travaillent plus sur les problèmes d’érection des hommes que sur les soucis vaginaux des femmes. On est toujours dans cette culture patriarcale…
Vous expliquez que la ménopause est aussi un facteur d’inégalité au travail. Que faire pour redonner de l’espoir aux femmes qui peinent à retrouver un travail après 50 ans ?
S.D. : Il faut que les chefs d’entreprises, les dirigeants et les managers cessent de dire, la main sur le cœur, « chez nous, ce n’est pas comme ça », alors qu’ils ne font pas grand-chose. Des initiatives commencent à émerger, plus chez nos voisins anglo-saxons qu’en France, mais ça évolue quand même aussi chez nous. On commence à se rendre compte dans les entreprises qu’il y a les trois « M » dans la vie d’une femme : Menstruations, Maternité, Ménopause. Si la maternité commence à rentrer dans les codes, il devient essentiel d’adapter aussi un management plus flexible des femmes à la ménopause. Il faut que les entreprises disent aux plus de 50 ans, « on sait que ce n’est pas une période forcément facile pour vous, mais vous avez de l’expérience et on veut vous garder », avec une politique de management adaptée et assouplie. Il existe même des femmes qui préfèrent demander leur retraite anticipée pour ne pas avoir à subir cette période-là dans l’entreprise, alors qu’elles sont au sommet de leur plein potentiel. C’est navrant et il faut que ça change. Il faut que les entreprises comprennent les enjeux en termes de transmission de compétences, car elles sont en train de se priver de personnel d’expérience leur garantissant performances et productivité. Plus on en parlera, plus on fera progresser la question.
Comment faire émerger le leadership au féminin des plus de 50 ans sans singer le fameux modèle Alpha ?
S.D. : C’est toute la question, parce qu’on voit bien aujourd’hui que de nombreuses femmes leaders ont adopté les codes virilistes dans l’entreprise comme en politique. Je pense que le leadership féminin peut naviguer ailleurs, avec notre propre personnalité. La plupart des femmes peuvent s’affirmer loin du modèle Alpha avec des codes moins guerriers, mais avec des qualités d’empathie, de bon sens et de fermeté, basées sur leurs propres valeurs et compétences. Il faut donc déconstruire ces stéréotypes du pouvoir qui s’incarnent toujours sur des codes masculins, alors que les valeurs du pouvoir ne sont en aucun cas genrées. A partir du moment où l’on va dégenrer le pouvoir, il pourra être exercé à la fois par des femmes et par des hommes, sans qu’on leur impose de rentrer dans un moule d’un autre temps.
Quel message essentiel faire passer au lecteur en conclusion de cet entretien ? Qu’il faut passer de l’anti-âge au pro-âge ?
S.D. : L’âge n’est pas un curseur et n’est en rien le marqueur de la valeur des gens. Il faut cesser d’attribuer de la valeur à la jeunesse et de la déficience à la vieillesse. L’âge est révélateur de beaucoup de choses extrêmement positives. Dans notre société, il devient essentiel et urgent de se focaliser sur ce qui rassemble les diverses générations et ce qui les fait avancer ensemble, plutôt que sur l’âge ou le vieillissement qui ne définissent vraiment personne.
Propos recueillis par Valérie Loctin
SON DERNIER LIVRE
Vieille, c’est à quelle heure ?
Considérée à tort comme l’antichambre de la mort sociale, la cinquantaine marque dans la vie des femmes un tournant décisif trop souvent synonyme d’invisibilité. C’est pourtant le moment pour ces femmes de se libérer du syndrome de la bonne élève et de la femme parfaite, et de se réaliser pleinement. Un livre résolument engagé et salvateur qui fait du bien et nous invite à profiter à fond de cette nouvelle étape de l’existence.
De Sophie Dancourt, Editions Leduc, 192 p., 17 €.