Ce n’est pas sans un énorme pincement au cœur que Jean-Pierre Pernaut, personnalité télé préférée en France, a quitté la présentation du JT de 13h sur TF1, devenu un rendez-vous quotidien incontournable pour des millions de Français. Rencontre pour parler de ses nouveaux défis au moment où il fête en famille ses 71 printemps.
La plupart des Français vous considèrent comme un membre à part entière de leur famille avec lequel ils ont déjeuné pendant 33 ans ! Ressentez-vous le même attachement pour eux ?
Jean-Pierre Pernaut : Oui, bien évidemment ! Parce que quand on est invité à déjeuner 7000 fois à 13 heures et 8500 fois en tout, en comptant les autres journaux, ça crée des liens dans tous les sens. Je reçois énormément de courriers adorables depuis que j’ai annoncé mon départ du 13h de TF1. Ce sont des liens merveilleux tissés au fil des années qui me font aussi penser à ma mère. Je raconte dans mon livre que ma maman qui est partie à l’âge de 102 ans n’a jamais raté un seul de mes journaux. Donc je ne m’adressais pas à plus de 5 millions de personnes chaque jour, mais à chacun d’entre eux, notamment ma maman, pour les intéresser à l’actualité. Tous les jours, le journal de 13h, c’était une histoire que je racontais aux gens, en improvisant souvent, en y mettant ma petite touche personnelle, voire même quelques réflexions de bon sens. C’est donc un attachement aux gens que je croise chaque jour dans la rue et qui me parlent comme si j’étais un copain ou un membre de leur famille. Pour les Français, je n’ai jamais été une vedette de la télévision, mais un proche, presque un ami. J’entends « Jean-Pierre, on est contents de te voir », « Jean-Pierre, continue ! », « Jean-Pierre, tu devrais changer de cravate ». On ne m’a jamais pris pour une star de la télé, ce que je ne suis pas.
Vous êtes la personnalité télé préférée des Français, toutes générations confondues, y compris chez les jeunes. J’imagine que ça vous fait plaisir ce succès intergénérationnel ?
J-P.P. : Oui, c’est vrai, chez les jeunes aussi. Ça, je l’ai remarqué au moment où je suis parti avec les réactions et les commentaires super positifs d’énormément de jeunes, de 15 à 30 ans, sur les réseaux sociaux, m’écrivant : « Monsieur Pernaut, on n’a connu que vous, vous allez nous manquer ». Et c’est vrai que dans les sondages sur la personnalité télé préférée des Français, je suis en tête notamment chez les jeunes, et c’est cela qui m’a surpris le plus, parce que le JT était plutôt destiné à des personnes âgées par définition, puisqu’elles restent souvent chez elles à l’heure du déjeuner. La société a évolué en trente ans et il y a de plus en plus de jeunes qui rentrent chez eux entre midi et deux, c’est encore plus vrai depuis la crise du Covid, bien évidemment. J’ai le sentiment aussi, par rapport au contenu du journal que je présentais, que les jeunes sont de plus en plus attachés à leurs racines. Ce besoin de racines n’existait pas chez les jeunes, ou dans une bien moindre mesure, quand j’ai démarré la présentation du JT.
«Le microcosme parisien a mis 30 ans à comprendre l’intérêt de couvrir l’actualité dans les régions, mais maintenant tout le monde fait des journaux de proximité. Je pense avoir ouvert la voie d’une actualité au plus près des gens, tout en traitant les infos nationales et internationales.»
Vous avez été un pionnier sur les thèmes de la relocalisation, du made in France, de la sauvegarde de nos petits commerces et marchés, de nos métiers d’art et notre patrimoine, mais aussi sur les circuits courts, la revitalisation rurale, les produits de nos terroirs. Ça vous fait plaisir que tout le monde s’en préoccupe dorénavant ?
J-P.P. : Ça me conforte dans l’idée que j’ai eue quand je suis arrivé en 1988 au 13h, dans l’objectif de faire un journal plus proche des gens. L’élément fondateur, ça a été la création d’un réseau de correspondants en régions, ce que les chaînes de TV nationales n’avaient pas à l’époque, puisque c’était un journal essentiellement parisien et parisianiste. Aujourd’hui, ce réseau, c’est 19 bureaux et pas moins de 150 journalistes dans tous les territoires. Mais notre journal a toujours été un peu moqué dans la presse parisienne. Tout cela a changé en fait avec le début du mouvement des Gilets Jaunes. A ce moment-là, toutes les critiques sur le journal de 13h ont disparu. Les gens de ce microcosme parisien se sont dit : « Tiens, il y a quelque chose au-delà du périphérique ». Et la crise sanitaire a accéléré les choses, car les Parisiens se sont rendu compte que les Français avaient de la chance de vivre à la campagne, et certains se sont même évadés pour essayer d’avoir un coin de verdure.
Après avoir été longtemps moqué ou critiqué, votre JT est devenu une référence de la France oubliée ?
J-P.P. : Oui, c’est vrai. Mais ce sont les Gilets Jaunes qui ont entraîné cette prise de conscience nationale sur une grogne profonde des Français : l’augmentation de la CSG sur les retraites, les 80 km/h, et la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, le projet de taxe carbone. C’est à ce moment-là d’ailleurs que j’ai choisi d’interviewer Emmanuel Macron sur la grogne dans les campagnes. Ce que j’ai appelé « La France des oubliés ». Le microcosme parisien a mis 30 ans à comprendre l’intérêt de couvrir l’actualité dans les régions, mais maintenant tout le monde fait des journaux de proximité. Je pense avoir ouvert la voie d’une actualité au plus près des gens, tout en traitant les infos nationales et internationales.
« Au plus près », ça vous résume parfaitement, c’est aussi le fil rouge de votre actualité, avec votre dernier livre « 33 ans avec vous », votre nouvelle émission sur LCI et votre chaîne JPP TV. Expliquez-nous.
J-P.P. : Pourquoi je fais ça aujourd’hui ? C’est parce que j’avais vraiment besoin de passer à autre chose. C’est rare que quelqu’un arrête de présenter un journal télévisé leader, avec des audiences au beau fixe et une popularité réelle. Pendant le confinement avec ma femme, j’ai continué à travailler avec une petite rubrique « Le 13h à la maison », qui m’a encore plus rapproché des gens, parce que je vivais ce qu’ils vivaient, mais j’ai aussi beaucoup réfléchi. A presque 71 ans, je me suis dit qu’il fallait que je commence à décrocher. Le groupe TF1 m’en a donné la possibilité en continuant à travailler sur LCI avec cette émission « Jean-Pierre & vous ». Quant à la JPP TV, c’est une plateforme internet qui va plaire à vos lecteurs parce qu’on y regroupe des milliers d’archives sur le patrimoine de nos régions. Tous les magazines et reportages que j’ai réalisés depuis 30 ans, on va les mettre petit à petit en ligne, plus ceux d’aujourd’hui. C’est toute cette richesse de notre patrimoine national sur la gastronomie, l’artisanat, les traditions, les fêtes locales. On se branche sur internet, c’est gratuit et on peut passer des heures à regarder de magnifiques reportages. Et puis, je tourne aussi actuellement toute une série de grands reportages qui passeront le samedi après le JT de 13h sur TF1, consacrés à la défense du patrimoine de nos régions, pour mettre en valeur tous ceux qui se battent sur notre territoire.
Qui a eu cette idée de la JPP TV, vous ou la chaîne ?
J-P.P. : C’est moi avec mon équipe du 13h. On avait cette idée depuis quelques temps, et j’en avais déjà fait une première expérience il y a 20 ans quand internet balbutiait encore. C’est un peu sur la même idée, en essayant d’élargir au maximum le contenu, et avec aussi des petits coups de gueule de ma part que j’enregistre en vidéo sur l’actualité ou sur des remarques de bon sens. C’est un peu mon univers en fait, ma marque de fabrique. Quant au livre, c’est pour remercier les gens, leur raconter les coulisses de ce que j’ai vécu, là d’où je viens, pourquoi je me suis intéressé aux régions, les émissions que j’ai faites comme « Combien ça coûte ? » et puis les coulisses de mon départ, l’émotion du dernier JT, les surprises que m’ont fait les correspondants, mon équipe et ma famille, et puis surtout l’attachement des gens et mes liens avec eux.
«Je suis sincère et naturel. Quand j’aime quelque chose, je le dis, quand je trouve quelque chose de moche, je le dis aussi. Je réagis toujours normalement, pas comme un journaliste froid qui est là pour débiter des dépêches.»
Quelle est la recette de votre succès, la « JPP’s touch », pour durer aussi longtemps ? La sincérité ?
J-P.P. : Oui, c’est la sincérité, le fait de ne pas jouer. Je n’ai jamais joué, le fait de ne pas avoir de téléprompteur, d’improviser beaucoup, de vivre l’actualité et de raconter tous les jours une histoire tout au long du journal qui n’était pas une simple succession de sujets. C’est une histoire que je raconte pour que les gens se sentent bien dedans. Et puis aussi, d’être naturel. Quand j’aime quelque chose, je le dis, quand je trouve quelque chose de moche, je le dis aussi. Je réagis toujours normalement, pas comme un journaliste froid qui est là pour débiter des dépêches. J’ai toujours été quelqu’un de normal. Je suis un journaliste qui a eu la chance inouïe d’avoir été là où il a été pendant plus de 30 ans, c’est-à-dire à la tête d’une rédaction formidable, en créant un réseau de correspondants tout aussi formidable et d’avoir pu avoir un journal qui me ressemble en fait.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la gestion de la crise sanitaire qui crée beaucoup d’inquiétudes chez les Français par manque de projections sur l’avenir ?
J-P.P. : Je pense que j’ai le même regard que la plupart des Français ! Je me souviens d’un gouvernement qui l’année dernière nous disait que les masques ne servaient à rien, alors que c’était pourtant le b-a-ba de la protection dans le monde entier, je l’ai dit à l’antenne et ça a été pris comme une provocation épouvantable, alors que les masques peu après sont devenus obligatoires. Après, sur la campagne des tests, on s’est aperçu que ça démarrait bien trop lentement en France. Sur la campagne de vaccination, on s’aperçoit qu’on a beaucoup de retard. Moi, ça fait deux mois que j’essaye comme de nombreux Français de mon âge de me faire vacciner et je n’ai pas encore réussi. Mon beau père qui a 85 ans n’a toujours pas eu son rendez-vous. Tout cela, ce n’est pas à moi de le juger, je ne fais que constater comme tous les gens qui le vivent au quotidien. Et je pense à ceux qui vivent cette crise le plus durement en ce moment, les commerçants. La fermeture des commerces est une catastrophe épouvantable. Je pense aussi aux étudiants qui n’ont plus de contacts, plus de vie sociale, plus de petits boulots et qui ne peuvent plus bouffer, sans parler de l’isolement de nos aînés dans les Ehpad…
Vous comprenez les décisions qui ont été prises ?
J-P.P. : Ce que je sais c’est que je n’aimerais pas être à la place de ce gouvernement ! Ça a été une année épouvantable, mais surtout difficilement compréhensible. Ce qui ajoute à l’anxiété des gens, c’est que les informations données sont souvent contradictoires. C’est vrai que ça doit être très compliqué à gérer au sommet de l’Etat, mais les gens ont du mal à comprendre. Ce qui est certain, c’est que la France a raté les masques, a raté les tests et a commencé à rater les vaccins. Sans compter qu’au pays de Pasteur, alors que nous étions leader mondial de la Recherche, la France est le seul pays qui n’ait pas son vaccin ! Tout ça parait incroyable et même bizarre…
Qu’est-ce qui vous rend cependant fondamentalement optimiste aujourd’hui ?
J-P.P. : C’est que la vie est belle ! J’ai eu un petit cancer de la prostate il y a 3 ans, opéré à temps. J’en ai parlé, car c’est important de faire de la prévention et d’encourager les campagnes de dépistage. Ma femme a eu une leucémie foudroyante avant de me connaître, dans les années 2000. Nathalie est passée tout près de la mort et elle s’est battue. Elle a d’ailleurs écrit un livre « Le cancer en face » parce que ce sont des maladies dont il faut parler pour améliorer les soins, la prévention, etc. Et puis, elle m’a soutenu énormément dans mon combat contre le cancer. Et aujourd’hui, dans ma préretraite, on travaille tous nos projets d’avenir ensemble, on est très proches, sans parler de mes 4 enfants qui sont mon bonheur. Je crois sincèrement que pour rester en forme et optimiste, il faut bien sûr être entouré, faire des activités qu’on aime et avoir des passions en dehors de son travail. Ça a toujours été mon cas, avec d’autres passions à côté de mon travail de journaliste, comme les courses automobiles avec mes enfants et ma femme, et puis le théâtre, puisqu’on a écrit deux pièces avec Nathalie.
Si on devait aujourd’hui résumer votre philosophie de vie et votre recette du bonheur ?
J-P.P. : C’est difficile de répondre à une question pareille ! C’est regarder toutes les bonnes choses de la vie et d’essayer d’en profiter. Il y a toujours des belles choses à côté de celles qui sont tristes ou dramatiques. Là, aujourd’hui, alors que je suis en train de vous parler, je vois dans mon jardin des jonquilles magnifiques. Rien que cela, c’est beau ! On peut avoir les pires des soucis, un petit tour dans la nature, ça fait un bien fou ! C’est pour cela que beaucoup de Français rêvent de vivre à la campagne aujourd’hui. Quand on voit la nature qui évolue au fil des saisons, c’est une chance extraordinaire, sans parler de l’amour des siens, de sa famille, de ses amis. Il faut donc apprendre à savourer tous ces petits bonheurs simples de la vie, car on vit dans un pays, la France, qui est vraiment magnifique !
Propos recueillis par Valérie Loctin.