Il est hors de question de vieillir sans être heureux ! C’est ce que nous démontre avec brio le Dr Michel Allard dans son tout dernier livre. À partir d’études scientifiques et d’observations personnelles, ce spécialiste de gérontologie, qui a étudié les caractéristiques des centenaires, nous livre la recette de la longévité heureuse. Une rencontre qui nous rend optimistes !
Pourquoi avoir choisi de vous intéresser depuis tant d’années à la gérontologie, à la longévité et aux neurosciences ?
Dr Michel Allard : En fait, j’ai toujours été intéressé par le temps qui passe. Même jeune, j’ai toujours fréquenté des gens plus âgés que moi. Il se trouve par ailleurs que j’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique pendant vingt ans. J’ai été l’un des tout-premiers à avoir repéré la maladie d’Alzheimer aux Etats-Unis et à l’avoir fait connaître en France, tout en travaillant à la recherche de médicaments contre cette maladie et de stimulants de la mémoire. En 1987, j’ai même pris une année sabbatique pour étudier, dans les prestigieuses universités de Berkeley et à Stanford, les mécanismes de la mémoire. J’ai ainsi orienté mes travaux sur la question « Comment améliorer la mémoire à tout âge ? » et ai participé à porter sur les fonds baptismaux l’association France Alzheimer et la Fondation Ipsen. C’est donc naturellement que je me suis intéressé aux centenaires et ai été à l’initiative d’une des plus vastes études sur le sujet. J’ai publié un livre sur ce thème en 1991, « A la recherche du secret des centenaires » aux éditions du Cherche Midi.
Comment est née l’idée de votre dernier livre « Le bonheur n’a pas d’âge » ? Parce que vous êtes l’homme qui a rencontré le plus de centenaires dans sa vie ?
Dr M.A. : Après avoir consacré une grande partie de ma vie à la gérontologie et aux centenaires, et notamment au cas de Jeanne Calment que j’ai contribué à rendre célèbre, je suis parti en mission humanitaire sous les tropiques, notamment au Laos, qui était étonnamment l’exemple même du « paradis sur terre » pour ses habitants. J’ai alors essayé de comprendre ce qui rapprochait ces Laotiens heureux de « mes centenaires ». C’est de retour en France et en reprenant tous mes dossiers, que j’ai trouvé une dimension que l’on avait en partie négligée : la motivation, le dynamisme mental, l’élan vital, l’instinct de conservation… C’est-à-dire le « conatus » qu’on appelle aussi facultés conatives ou conation. J’ai donc décidé d’en faire un livre. C’est mon éditeur qui m’a challengé en me donnant le fil rouge du bonheur. Les deux notions étant intimement liées, la boucle était bouclée !
« J’ai trouvé une dimension que l’on avait en partie négligée : la motivation, le dynamisme mental, l’élan vital, l’instinct de conservation… On appelle cela le « conatus ». »
Quelle est votre propre définition du bonheur ?
Dr M.A. : C’est un équilibre entre les facultés cognitives (« je sais »), les facultés affectives (« j’aime ») et les facultés conatives (« je veux ») de l’être humain. Pour moi, le cercle conatif est clairement orienté vers l’avenir, le cercle affectif tourné vers le présent et le cercle cognitif dans le passé.
Vous écrivez que « le bonheur suscite la longévité ». Expliquez-nous.
Dr M.A. : Et vice versa ! Les études que nous avons réalisées le démontrent : plus l’on se sent heureux (même si les apparences extérieures semblent parfois radicalement inappropriées), plus l’on a de chances de vivre longtemps, voire de devenir centenaire ! Et j’ai pu le constater personnellement en étudiant les centenaires que j’ai rencontrés. Ils avaient tous une plus grande propension au bonheur que le reste de la population, notamment une capacité à mieux composer avec les malheurs de la vie. Alors oui, le bonheur suscite la longévité et la longévité suscite le bonheur !
Vous avez mis en évidence des indicateurs de bonheur chez les centenaires. Quels sont-ils ?
Dr M.A. : Ce sont l’enthousiasme (l’entrain, le goût de vivre), la fortitude (le courage et la force face aux adversités), la congruence (c’est-à-dire la concordance entre les buts désirés et les buts atteints dans la vie), le soi positif (l’estime de soi) et la tonalité de l’humeur (la joie, l’optimisme, la gaieté). La leçon que nous donnent les centenaires, c’est qu’ils sont un véritable trésor d’enseignements !
Vous parlez ensuite des qualités qu’il faut avoir pour être heureux…
Dr M.A. : Oui et on les retrouve chez la plupart des centenaires. Il s’agit de l’humour, de la vivacité (dynamisme), de la résistance et de la résilience, de la tolérance et de l’acceptance, de la coquetterie et de l’estime de soi, d’une faculté d’oubli sélectif très forte (les centenaires ont oublié les moments malheureux de leur vie pour ne garder que les plus heureux), de la psychologie positive, sans oublier le coping et une cohérence surprenante.
C’est quoi le coping ?
Dr M.A. : C’est aussi l’une des grandes vertus liées à la longévité et au bonheur que j’ai retrouvée chez les centenaires et notamment chez Jeanne Calment. Le coping est la faculté de pouvoir faire face ou de composer avec le stress et les agressions du monde extérieur, c’est-à-dire ce qui menace l’individu en tant que personne. Il semblerait que les centenaires aient des procédures plus efficaces et plus adaptées que les autres pour se protéger. Ils savent souvent mieux réagir face au stress de la vie, bref ils ont su mieux s’adapter que d’autres tout au long de leur existence.
« La leçon que nous donnent les centenaires, c’est qu’ils sont un véritable trésor d’enseignements ! »
Grâce à votre livre, on découvre donc le « conatus » et surtout la fameuse trilogie de l’esprit « cognition + affects + conation ». Mais pour bien comprendre, quelle est la différence entre « cognition » et « conation » ?
Dr M.A. : La cognition, ce sont toutes les fonctions cognitives de l’être humain : la compréhension, l’analyse, les connaissances, la mémoire, le calcul… On parle de troubles des fonctions cognitives quand elles s’altèrent. La conation, c’est l’élan vital. Et depuis que je travaille sur le sujet, je me suis rendu compte qu’il existe des milliers de mots dans la langue française qui sont du domaine de la conation : « peps, tonus, cœur à l’ouvrage, détermination, choix, énergie, force, dynamisme, efficacité, ressort, embellie, mobilisation, réactif… » Dans notre civilisation, dans notre culture, tout ce qui se réfère à la conation est essentiel pour l’Homme. D’où l’importance de cette trilogie de l’esprit pour vivre heureux dans la longévité, et du bon équilibre entre les trois domaines : cognition, affects et conation.
En fait, la recette quand on vous lit, c’est de « faire de l’amour de la vie un principe de vie » ?
Dr M.A. : Oui, car c’est cela la conation, l’élan vital : faire de l’amour de la vie un principe de vie ! Mais pour arriver à conserver cet élan vital tout au long de son existence, il faut mettre en place tout un plan d’actions : bien se connaître, vivre dans l’instant présent, se fixer des objectifs atteignables, accepter l’impermanence, rester enthousiaste, cultiver sa faculté d’émerveillement, et pratiquer la visualisation. Car on peut avoir développé ses fonctions cognitives et ses facultés affectives et ne pas être heureux pour autant, car le conatus est un besoin vital aussi essentiel que de respirer. L’être humain a besoin de se projeter, mais à condition que les objectifs qu’il se fixe soient en adéquation avec le registre cognitif. En bref, il faudrait vouloir ce que l’on sait être, être ce que l’on sait vouloir et savoir ce que l’on veut être. S’il existe une trop grande incohérence, ce seront des objectifs irréalistes et irréalisables. Il n’y aura alors aucune congruence entre les buts désirés et les buts atteints, donc une source de frustration et de dévalorisation. De même, il faut une adéquation entre ces objectifs et notre ressenti (dans le domaine affectif). C’est ainsi que j’explique et comprends le bonheur des gens heureux, quels qu’ils soient. Intuitivement, spontanément, ils connaissent un équilibre entre leurs trois domaines (cognition, affects, conation). Leurs ambitions sont conformes à ce qu’ils comprennent du monde qui les entoure et à ce qu’ils ressentent.
Quel message essentiel souhaitez-vous que l’on retienne de votre livre ?
Dr M.A. : Découvrez votre conatus et cultivez-le ! C’est cela qui vous permettra de vivre heureux le plus longtemps possible.
Propos recueillis par Valérie Loctin.