Depuis une vingtaine d’années, le foie subit une véritable mutation. On estime aujourd’hui que 30% de la population présente – le plus souvent sans le savoir – de la graisse dans le foie, première étape avant la maladie qu’on appelle la NASH. Rencontre avec le Dr Dominique Lannes pour comprendre ce danger qui nous guette et surtout s’en prémunir.
La NASH est une maladie silencieuse, sans symptôme, qui dégrade insidieusement le foie. Cette forme d’hépatite, en l’absence de virus et de tout alcoolisme, liée uniquement à l’alimentation, entraîne cirrhose et cancer du foie, avec pour seule issue la greffe, puisqu’il n’existe pour l’heure aucun médicament.
Depuis plusieurs années, à l’insu du grand public, les médecins et les autorités de santé des pays occidentaux n’hésitent pas à qualifier la NASH de « fléau du siècle ». Une épidémie d’autant plus préoccupante qu’elle se propage discrètement par le contenu de nos assiettes.
Spécialiste du foie, le Dr Dominique Lannes est hépato-gastro-entérologue à Paris, en cabinet, ainsi qu’à la Clinique du Trocadéro et à la Clinique du Mont-Louis.
Vous venez de consacrer un livre à la NASH, une maladie du foie silencieuse, qui est pourtant un véritable problème de santé publique. C’est l’objectif de cet ouvrage, informer, sensibiliser sur une maladie grave pourtant méconnue ?
Dr Dominique Lannes : Oui, des millions de personnes vont être atteintes de cirrhose et/ou de cancer du foie dans le monde uniquement par une maladie transmise par le contenu de nos verres et de nos assiettes !
Comment expliquer que cette maladie de la malbouffe, ce « fléau du siècle », soit pourtant si peu médiatisé aujourd’hui ?
Dr D.L. : En règle générale le foie n’intéresse personne ! À part parler de cirrhose alcoolique du foie ou de crise de foie après avoir trop mangé, les gens ne savent pas où est situé cet organe, ne connaissent pas ses fonctions, et ses maladies restent très floues… D’autre part, les spécialistes du foie étaient ces trentes dernières années complètement polarisés par les hépatites chroniques virales B et C qui posaient de gros problèmes mais qui se guérissent aujourd’hui. Les changements alimentaires « trop gras, trop sucré », l’obésité, la sédentarité se sont considérablement accrus depuis les années 2000 en Europe et c’est donc maintenant seulement que l’on voit arriver cette nouvelle génération de patients NASH et qu’on va en parler de plus en plus.
Combien de patients français sont-ils touchés par cette maladie ? Existe-t-il une corrélation directe avec la montée de l’obésité et du diabète dans notre pays ?
Dr D.L. : On estime que 1 à 2 millions de Français ont une NASH, c’est-à-dire la forme grave de foie gras (steatose) qui entraîne inflammation, fibrose et cirrhose ou cancer du foie au stade très évolué. Attention, la NASH n’atteint que 10% des personnes ayant un foie gras sans qu’on sache pourquoi. 30% des Français ont un foie gras. Le diabète et l’obésité font le lit de la NASH et ces 3 affections progressent partout dans le monde de façon parallèle.
« Je suis catégorique à ce sujet : il faut vraiment limiter au maximum sa consommation de sucre et lutter contre tous les sucres cachés que l’on peut trouver dans l’alimentation industrielle. C’est un véritable poison. »
Vous dites même que nous sommes aujourd’hui « dépassés » par le fléau de la NASH…
Dr D.L. : Paradoxalement, si nous maîtrisons de plus en plus les traitements pour éradiquer le virus de l’hépatite C, nous sommes maintenant dépassés par la NASH dont nous allons hélas beaucoup entendre parler dans les 30 ans à venir. Cette vague prend de plus en plus d’ampleur, c’est une véritable pandémie. Dans certains pays comme l’Afrique, on donne du Coca aux nourrissons, pensant que cela est bon pour eux… Je vous laisse imaginer les conséquences dramatiques causées par ce genre de comportements.
Le grand public connaît bien mal le rôle majeur du foie dans sa santé. Expliquez-vous les missions essentielles de notre foie.
Dr D.L. : Premièrement, le foie reçoit tout le sang provenant de l’intestin qui est chargé en nutriments (protides, lipides, glucides). Il va recevoir et transformer chimiquement ces nutriments grâce aux cellules du foie bourrées d’enzymes. Deuxièmement, il synthétise les protéines par exemple l’albumine, les hormones, les protéines de la coagulation du sang, etc. Plus de 300 molécules indispensables à la vie sont fabriquées par le foie. Troisièmement, il a un rôle de détoxification de molécules toxiques (rendues inoffensives par le foie). Quatrième mission, celle du stockage des graisses et des sucres et du relargage en fonction des besoins énergétiques de l’organisme. S’il y a du sucre en excès, il peut le transformer en graisse. Enfin, dernière mission, celle de la fabrication de la bile indispensable à la digestion.
On connait les atteintes du foie par l’alcool mais on parle moins de celles de la malbouffe. Pouvez-vous nous les expliquer ?
Dr D.L. : Oui le foie a de tout temps été associé à l’alcool, et il est vrai que la consommation excessive d’alcool est la première cause de cirrhose et cancer du foie en France. Et pourtant la NASH peut aboutir au même résultat sans avoir bu une goutte d’alcool mais en mangeant trop gras et trop sucré. Il y a alors accumulation de graisse dans le foie (steatose) et dans 10% des cas cette graisse est toxique pour le foie et entraîne une inflammation, véritable hépatite sans alcool ni virus. Le foie répond à cette inflammation en fabriquant un tissu fibreux, la fibrose, qui au stade évolué est la cirrhose. La fibrose favorise également le cancer du foie. C’est un processus très lent, sur plusieurs années, et silencieux. Ce qui complique les choses, c’est qu’on ne sait pas aujourd’hui pourquoi la graisse est toxique pour le foie chez certaines personnes et pas chez d’autres.
Le sucre est donc l’ennemi public N°1 ?
Dr D.L. : Malheureusement, oui. Qu’on soit clair, la NASH, c’est essentiellement une maladie de la malbouffe. S’il n’y avait pas tous ces désordres alimentaires, il n’y aurait pas de NASH. Mais la plupart des personnes ignorent à quel point certains comportements sont nocifs. Prenons en effet l’ennemi numéro un : le sucre. Perçu comme une simple douceur, c’est en fait le plus perfide parce que celui-ci est transformé en graisses par le foie. Je suis catégorique à ce sujet : il faut vraiment limiter au maximum sa consommation de sucre et lutter contre tous les sucres cachés que l’on peut trouver dans l’alimentation industrielle. C’est un véritable poison.
Que se passe-t-il si on cumule Hépatite et NASH ?
Dr D.L. : C’est encore plus grave et le risque de cirrhose ou de cancer du foie augmente beaucoup. Sans parler des risques du cumul « hépatite chronique B ou C, alcoolisme et NASH »…
« Je serais optimiste s’il y avait une vraie prise de conscience des industriels de l’agroalimentaire et des politiques pour enrayer la malbouffe… ce qui me semble encore plus prioritaire que de trouver un traitement. »
Comment se tenir à l’abri toute sa vie de la Nash ? Quelle prévention mettre en place ?
Dr D.L. : La seule réponse, c’est de vivre plus sainement. Manger moins gras, moins sucrer, préférer l’eau aux sodas, boire peu d’alcool, cuisiner soi-même et limiter les aliments transformés industriels qui contiennent souvent des graisses et sucres cachés. Il faut aussi éviter le grignotage. Et bien entendu « bouger bouger et bouger encore », marcher, faire du sport, prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur. Il ne faut pas hésiter à utiliser les nouvelles applications smartphone style « yuka » ou le nutriscore qui vous indiquent si ce que vous mangez est sain grâce à un code couleur « vert-orange-rouge ».
Si on est déjà atteint, que faire pour retarder sa progression ?
Dr D.L. : Il n’est jamais trop tard pour agir et plus on s’y prend tôt, mieux c’est. Au stade de fibrose sévère ou de cirrhose, les règles sont : arrêt strict de l’alcool, régime strict sans sucre ni graisse, perte de 10 à 20 kg si nécessaire, surveillance de son foie tous les 6 mois par échographie pour effectuer un dépistage des nodules du cancer du foie.
Il n’existe à ce jour aucun traitement. Etes-vous optimiste sur les pistes et les avancées de la Recherche ?
Dr D.L. : Plusieurs dizaine de laboratoires dans le monde sont en intense compétition pour mettre au point le premier traitement médicamenteux de la NASH. Celui-ci pourrait agir soit en diminuant l’inflammation, soit en empêchant le foie de fibroser, soit en faisant régresser la fibrose déjà constituée. Les essais sont longs et on n’attend pas de traitement avant 2 ans Je serais optimiste s’il y avait une vraie prise de conscience des industriels de l’agroalimentaire et des politiques pour enrayer la malbouffe… ce qui me semble encore plus prioritaire que de trouver un traitement.
Si les lecteurs ne devaient retenir qu’un message essentiel de votre livre, quel serait-il ?
Dr D.L. : Aimez votre foie, la star de votre organisme et illustre inconnu. Apprenez à mieux le connaître. Ainsi, vous en prendrez mieux soin !
Propos recueillis par Valérie Loctin.