La liberté est le propre de l’homme, la condition du bonheur et la pierre d’achoppement de toute philosophie. Intimement liée à la responsabilité, au devoir, au respect, elle est au cœur de la réflexion morale.
Associée aux notions de souveraineté, de loi, de droit, elle est l’horizon de la politique et la raison d’être de la cité. Cette question philosophique par excellence semble cependant infinie, car la liberté se dit en de multiples sens dont certains paraissent incompatibles. La définition la plus commune de la liberté est la suivante : être libre c’est pouvoir faire tout ce que l’on désire. Au premier abord, la liberté se situe au niveau de l’action et se définit comme liberté de mouvement et pouvoir faire. Notre liberté augmenterait avec notre capacité à agir et à satisfaire nos désirs.
Des obstacles sur le chemin
Cependant une telle liberté n’est pas réalisable puisque notre action rencontre inévitablement des obstacles, ni totalement souhaitable puisque tous les hommes ne sont pas raisonnables. Il paraît alors plus judicieux de définir la liberté extérieure par l’indépendance entendue comme indépendance à l’égard d’autrui, indépendance qui, en société, se conquiert par les lois. Nous parvenons à une définition de la liberté extérieure très éloignée de la première version : être libre, ce n’est pas pouvoir faire tout ce que l’on désire, c’est pouvoir faire tout ce que les lois permettent.
Deux genres de libertés
Dans De la liberté des anciens et des modernes, discours prononcé en 1819, Benjamin Constant distingue « deux genres de liberté ». La liberté des anciens est une liberté qui s’exerce, c’est la liberté du citoyen qui participe à la vie de la cité. Cette liberté est souveraineté. C’est une liberté politique. Mais cette liberté, opposée à la liberté des modernes, est, selon Constant, dépassée au sens de passée et archaïque. Par contre, la liberté des modernes, adaptée aux nouvelles sociétés occidentales, n’est plus celle du citoyen mais de l’individu, n’est plus celle qui s’exerce mais celle dont on jouit. Cette liberté n’est pas souveraineté mais « droit de » et l’Etat n’a de légitimité qu’en tant que garant de la sphère privée c’est-à-dire de la sécurité et de la liberté de l’individu. En un sens, moins il y aurait de politique, plus il y aurait de liberté.
Qu’en penser ? « N’est-il pas vrai que nous croyons tous d’une manière ou d’une autre que la politique n’est compatible avec la liberté que parce que et pour autant qu’elle garantit une possibilité de se libérer de la politique. » remarque Hannah Arendt dans La crise de la culture. Telle serait l’amère leçon du totalitarisme. Cela justifie-t-il néanmoins que l’on réduise la politique au maintien de la liberté individuelle et à la sauvegarde des intérêts privés ? Selon H. Arendt qui rejette l’idée d’un dépassement des anciens, les grecs avaient compris ce qui faisait la valeur de l’action politique. Dans l’action politique, l’homme fait l’expérience de son humanité c’est-à-dire de sa capacité à dépasser son animalité, à dépasser la sphère de ses besoins et intérêts privés dans et par une action avec d’autres en vue d’un bien pensé en commun. La liberté des modernes n’est pas une véritable liberté qui déploie nos possibilités dans l’agir ; bien au contraire, elle enferme les individus qui deviennent de « petits absolus » isolés qui ne sont plus « introduits dans le monde» et qui, sans prolongement dans le passé et le futur, dérivent au gré du moment présent.
L’homme est né libre, dit-on !
En quel sens ? Au sens où chaque homme est capable de disposer de lui-même. Cette idée, fruit d’une longue histoire qui, selon Hegel, a commencé avec l’esclavage, montre par son historicité que la liberté d’agir se conquiert et qu’elle se conquiert essentiellement par l’action politique. Supposons que l’on puisse faire tout ce que l’on désire, serions-nous libres pour autant ? On pourrait penser comme Calliclès dans le Gorgias écrit par Platon au IVe avant J.C que moins on entrave l’action par laquelle on cherche à satisfaire nos désirs, plus on est libre. Mais ne sommes-nous pas parfois asservis à nos propres désirs ? Dans ce cas la liberté est moins dans le pouvoir de faire que dans le pouvoir de ne pas faire et de maîtriser ses désirs. Ainsi selon Socrate, maître de Platon, il n’y a pas de liberté sans pouvoir sur soi en soi-même. La liberté est donc aussi intérieure.
La liberté intérieure
Nous faisons souvent l’expérience de notre passivité et de notre impuissance intérieure comme si il y avait en nous des forces contraires à notre liberté. La liberté intérieure est-elle un mythe ? Nos comportements ne sont pas des réactions au sens de comportements mécaniques, sans conscience, résultant de stimuli antérieurs. Certes il arrive que, sous l’effet de l’habitude ou de la fatigue, nos gestes deviennent mécaniques, mais ce mécanisme sert généralement l’action. Dans l’action nous ne sommes apparemment pas déterminés à agir par des causes antérieures puisque nous agissons en fonction de buts que nous nous sommes donnés. Ce n’est pas le passé qui détermine le présent, mais un futur que nous avons-nous-mêmes pensé et posé comme fin. Ainsi l’action, loin de s’inscrire dans un rapport de cause à effet, déploie un rapport de fin à moyen. La philosophie peut nous libérer de la servitude involontaire qui naît de l’ignorance et du mécanisme des passions. La liberté n’est pas libre arbitre, la liberté n’est pas un donné, la liberté intérieure, comme la liberté politique, est à conquérir. Elle se conquiert par le passage de la passivité à l’activité qui résulte de la connaissance de ce qui nous détermine à agir. Dans ce cas, nous ne subissons plus, nous agissons véritablement puisque nous agissons en connaissance de cause c’est-à-dire en connaissance de ce que nous sommes et de ce qui nous est véritablement utile donc propre à augmenter notre puissance d’exister. « Agir par raison n’est rien d’autre que faire ces actions qui suivent de la nécessité de notre nature » (Ethique, IV,59) La liberté selon Spinoza ne relève pas d’une faculté. Elle se conquiert par la connaissance.
De la liberté de penser
La pensée est ce qui nous rend aptes à forger les buts qui organisent l’action, et qui nous appartient en propre. Notre jugement est ce qui, par excellence, dépend de nous, car nous sommes, comme le montre Descartes au XVIIe siècle, les sujets de notre pensée. Le fameux « je pense donc je suis » du Discours de la méthode signifie que l’expérience de la pensée est nécessairement expérience de ma pensée, de moi-même en tant que sujet de ma pensée et c’est pour cette raison que lorsque je pense, je sais dans le même temps que je suis. Dès lors, nous sommes responsables de notre pensée, à condition toutefois d’être aptes à juger. En effet quand nous avons une opinion, nous savons que nous l’avons et nous sommes par conséquent capables de penser cette pensée, en d’autres termes de la réfléchir et de renvoyer sa lumière devant le tribunal de la raison qui pourra juger de sa clarté.
Nous sommes toujours responsables selon Descartes de nos erreurs (et parfois de notre ignorance) car nous avons à chaque instant la possibilité de prendre conscience de la confusion et de l’obscurité des idées que nous affirmons. Il n’y a pas pour Descartes de conditionnement possible de la pensée, car tout jugement met en jeu deux facultés : l’entendement par lequel nous concevons des idées et la volonté qui affirme ou nie ces idées. La conscience de nos idées et l’acte d’adhésion volontaire qui caractérisent tout jugement impliquent que le mécanisme inhérent au conditionnement ne peut prendre place au sein de la pensée.
Un pouvoir libérateur de la raison ?
La raison est selon Spinoza « la vraie puissance de l’homme » car elle est une puissance de connaissance qui nous rend actifs et nous libère. Mais la raison est-elle véritablement une puissance de connaissance ? Des philosophes ou penseurs ont soupçonné ce pouvoir de la raison et par la même notre aptitude à nous libérer par la seule connaissance rationnelle. Marx, Nietzsche et Freud ont relativisé le pouvoir de la raison en rattachant son exercice à des conditions infra rationnelles comme les intérêts de classe, l’instinct ou la libido. Chacun s’inscrit néanmoins dans ce projet de libération à l’égard des illusions affectives, sociales et métaphysiques.
« liberté chérie ! »
Il s’agit d’une expression tirée du sixième couplet de l’hymne national français : La Marseillaise. On la retrouve également dans Le Chant des déportés. A l’heure de l’information continue, d’internet et des réseaux sociaux, il est urgent de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Et de prendre le temps de réfléchir vers quelle liberté marchons-nous, aujourd’hui ? Pour rappel, selon Spinoza la liberté ne relève pas d’une faculté. Elle se conquiert par la connaissance. A méditer !