Au lendemain de la journée mondiale contre Alzheimer, quel espoir pouvons-nous transmettre aux nombreuses familles touchées par ce fléau ? Quels sont les facteurs à risque ? Où en est la recherche ? Les traitements prometteurs ? Un point s’impose !
Les facteurs de risque pour la maladie d’Alzheimer
La recherche travaille sans relâche sur les traitements, mais elle nous donne déjà beaucoup d’informations sur la partie prévention de la maladie. Nous savons d’ores et déjà que le mode de vie et les problèmes vasculaires sont à surveiller de très près. En effet, de nombreuses études mettent en évidence la relation entre une mauvaise santé vasculaire durant la vie et le risque de développer plus tard un déficit cognitif et une maladie neurodégénérative. Parallèlement, des études suggèrent fortement que plusieurs autres facteurs, en relation avec le mode de vie, pourraient avoir un rôle dans le développement de la maladie d’Alzheimer, tels que : le diabète, l’obésité, l’inactivité physique et mentale, la dépression, le tabagisme, un faible niveau d’éducation, ou le régime alimentaire. Ainsi, agir sur les facteurs de risque vasculaires ou sur son hygiène de vie améliore la qualité du vieillissement cognitif et peut retarder l’apparition des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer. Si vous éliminez ces facteurs de risques, vous pouvez déjà diminuer de 30% les cas de maladies d’Alzheimer. Mais, n’oublions pas que la maladie d’Alzheimer comporte des lésions bien spécifiques. La survenue de la maladie d’Alzheimer n’est pas toujours liée à des facteurs vasculaires.
Prédisposition génétique
À côté des très rares cas de maladie d’Alzheimer génétiques, liés à la mutation d’un gène transmise de façon dominante, il existe de façon plus fréquente des facteurs de susceptibilité génétique qui augmentent le risque de développer la maladie. C’est le cas du gène ApoE4 considéré comme le facteur de risque génétique le plus important pour la manifestation tardive de la maladie d’Alzheimer, même si sa fréquence dans la population reste faible. De nombreux autres gènes de susceptibilité augmentent le risque de manière marginale, sauf s’ils se cumulent chez un individu. L’influence de ces gènes reste globalement modeste, mais leur identification permet de cibler de nouvelles pistes thérapeutiques.
Le diagnostic précoce, un enjeu de taille
On sait maintenant que les lésions de la maladie sont présentes plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes. On devrait pouvoir diagnostiquer la maladie très tôt, ce qui permettrait d’envisager des traitements précoces, avant que les destructions de neurones ne soient trop importantes. Beaucoup d’essais cliniques aujourd’hui sont ciblés sur les stades précoces de la maladie. L’amélioration des tests diagnostiques précoces est donc primordiale pour la recherche aujourd’hui. Par ailleurs, on estime que plus de la moitié des patients en France ne sont pas diagnostiqués, ou trop tardivement, ce qui compromet l’efficacité des médicaments testés. L’état pré-symptomatique de la maladie d’Alzheimer peut être reconnu chez des sujets dits normaux par la présence in vivo de biomarqueurs, signature de la maladie.
Quels sont les biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer ?
• La présence de plaques amyloïdes, identifiées par le TEP SCAN, examen qui permet d’obtenir des images du fonctionnement du cerveau.
• Une atrophie (perte de neurones) caractéristique de certaines régions du cerveau, tel l’hippocampe, mise en évidence par l’IRM cérébrale.
• Une diminution de la protéine amyloïde et une augmentation de la protéine tau (impliquée dans les dégénérescences neuro-fibrillaires) dans le liquide céphalo-rachidien obtenu par ponction lombaire.
Il est désormais possible de détecter la présence de ces biomarqueurs dans la plupart des centres experts de la maladie d’Alzheimer en France. C’est une avancée considérable pour le diagnostic précoce et un outil d’évaluation de l’efficacité de nouveaux traitements.
Par ailleurs, les chercheurs travaillent à la mise en évidence de nouveaux biomarqueurs à l’aide de techniques moins invasives et plus simples à réaliser telles que :
L’imagerie rétinienne : Des chercheurs ont démontré que la rétine de patients récemment diagnostiqués était nettement plus mince que celle de sujets sains. L’accumulation de plaques amyloïde et la mort progressive des neurones de la rétine seraient responsables de cet amincissement. Il faut maintenant attendre la confirmation de ces travaux récents.
Les analyses sanguines : de plus en plus d’études montrent qu’une simple prise de sang pourrait bientôt être une nouvelle technique simple de dépistage de la maladie d’Alzheimer. Ces tests sanguins sont en cours de validation. Ces avancées soulèvent la question de la prévention. Pour l’instant, aucun traitement physiopathologique n’a encore obtenu d’autorisation de mise sur le marché en Europe, à l’instar des États-Unis.
Où en sont les traitements ?
Outre-Atlantique, certains essais cliniques sont en phase 4, comme c’est le cas pour le laboratoire Biogen qui a reçu l’autorisation, en mai 2022, sur le sol américain de son essai Envision pour son médicament, pour répondre aux attentes de la Food and Drug Administration (FDA), l’équivalent américain de l’EMA, concernant l’innocuité et l’efficacité de leur molécule. Les résultats, attendus pour 2025, conditionneront sans doute la prochaine demande de Biogen pour une commercialisation de l’Aduhelm en Europe. L’Aduhelm est le candidat-médicament du laboratoire Biogen, mais l’EMA n’a pas accordé la mise sur le marché considérant que les données étaient insuffisantes. France Alzheimer ne s’est d’ailleurs pas cachée pour déplorer cette décision, jugeant que c’était un frein à l’accessibilité aux thérapeutiques innovantes pour la France, ainsi que le développement de la recherche sur la maladie d’Alzheimer.
Les approches thérapeutiques les plus intéressantes aujourd’hui sont des thérapies dites « disease-modifying » ou traitements de fond, qui visent à agir sur les processus physiopathologiques de la maladie d’Alzheimer, pour stopper ou ralentir l’évolution. Grâce aux progrès réalisés dans le domaine du diagnostic (imagerie médicale, biomarqueurs), on peut maintenant identifier des sous-groupes de patients en fonction du stade d’évolution de leur maladie, mais également suivre de plus près l’efficacité d’un nouveau traitement à l’essai.
• Prévenir l’accumulation du peptide ß-amyloïde
De nombreux arguments plaident en faveur du rôle majeur de l’accumulation intracérébrale de la protéine ß-amyloïde, sous la forme de plaques séniles, dans la survenue de la maladie d’Alzheimer. Empêcher l’accumulation de ß-amyloïde, ou réduire les plaques séniles, serait un moyen de retarder l’apparition des symptômes ou de ralentir l’évolution de la maladie. Différentes méthodes sont à l’essai.
• L’immunothérapie active
Elle consiste, comme une vaccination, à injecter une substance qui déclencherait une réaction immunitaire de l’organisme contre les plaques amyloïdes. Après l’apparition d’encéphalopathies sévères lors des tous premiers essais de vaccination utilisant un fragment de peptide ß-amyloïde, cette approche n’est plus guère développée actuellement.
• L’immunothérapie passive
Cette technique consiste à administrer des anticorps hautement spécifiques dirigés contre le peptide ß-amyloïde, permettant la dégradation des agrégats constituant les plaques amyloïdes. C’est aujourd’hui la piste la plus avancée.
Des succès…
Plusieurs anticorps ont montré une activité sur les dépôts intracérébraux d’amyloïde, et l’un d’entre eux, l’aducanumab (Biogen, Eisai), a été approuvé par la FDA (Food and Drug Administration) en juin 2021 et est désormais commercialisé aux USA, après un parcours compliqué. Ce produit n’a pas reçu d’approbation en Europe.
Le donanemab (Eli Lilly) est en cours de phase 3 avec des résultats solides en phase 2 (TRAILBLAZER-ALZ, NCT03367403) qui lui ont fait accorder par la FDA une revue prioritaire (statut de « Breakthrough therapy ». Le laboratoire conduit également chez 200 patients une étude de comparaison à l’aducanumab jugée sur la disparition des plaques amyloïdes au PET scan. En outre, une large étude de prévention a débuté chez 3300 sujets âgés de 50 à 55 ans, asymptomatiques, mais considérés comme à risque de développer une maladie d’Alzheimer car ayant une concentration plasmatique élevé de p217-TAU.
Le gantenerumab (Roche) poursuit son développement. Les premières études ont montré des signes d’efficacité, insuffisants toutefois, ce qui a conduit a augmenter les doses pour le programme actuel. Les résultats sont attendus fin 2022. La FDA a également accordé à ce produit une revue prioritaire. Ce produit est aussi testé dans une étude de prévention dans les formes familiales de maladie d’Alzheimer (230 sujets), et une étude de prévention chez des sujets sans symptômes, mais avec un excès de dépôt d’amyloïde (1200 participants).
Eisai a annoncé en juillet 2021 renforcer son programme de développement du lecanemab ou en collaboration avec Biogen. A l’étude de phase 3 en cours (CLARITY AD, NCT03887455) vient s’ajouter l’étude AHEAD 3-45 incluant 1045 patients au stade préclinique. Ce produit lui aussi sera l’objet d’une revue prioritaire de la FDA après les résultats de l’étude Clarity attendus fin 2022.
• Ralentir la progression de la dégénérescence neurofibrillaire induite par Tau
Pour comprendre la protéine Tau, il faut savoir que chez un sujet sain cette protéine normale stabilise les «microtubules», qui sont des fibres nécessaires aux transports intra-neuronaux. Or, chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, la protéine Tau est « hyperphosphorylée » ce qui provoque la déstructuration des microtubules et par voie de conséquence la dégénérescence du neurone. La corrélation entre la progression intracérébrale des agrégats anormaux de protéine Tau phosphorylés et la progression des troubles cognitifs a été bien établie. Des agents capables de stabiliser les microtubules, d’inhiber l’hyperphosphorylation de la protéine Tau ou de stopper la propagation de la protéine Tau anormale pourraient permettre de ralentir la dégénérescence neurofibrillaire.
Une approche anti-TAU innovante est celle des oligonucléotides anti-sens. Cette technique cherche à bloquer la traduction de l’ARN messager en protéine TAU. Le BIIB080 (ou IONIS-MAPTRx) est actuellement en phase 1/2.
Autres traitements
Dans leur revue annuelle du développement des médicaments dirigés contre la maladie d’Alzheimer Jeffrey Cummings et ses collaborateurs recensent, 31 produits en développement avancé (phase 3), 83% d’entre eux ayant pour objectif de modifier la progression de la maladie. 37% des médicaments actuellement testés dans la maladie d’Alzheimer sont des repositionements de produits déjà commercialisés pour d’autres indications. Les autres, outre les approches décrites ci-dessus, sont des molécules agissant sur des cibles variées telles que : inflammation, neurotransmission, métabolisme, vascularisation…
L’espoir ARNm
« Si on peut mettre l’ARN messager qui code la protéine de spicule du coronavirus, on peut mettre autre chose qui code pour autre chose d’intéressant, comme par exemple la maladie d’Alzheimer », a illustré le Pr Pierre Talbot, de l’Institut national de la recherche scientifique. Ainsi, si les chercheurs identifient un jour une protéine associée spécifiquement à la maladie d’Alzheimer (ou à la maladie de Parkinson, ou à une tumeur cancéreuse, ou à un autre problème de santé). On pourrait parfaitement envisager d’utiliser cette même technologie pour demander à nos cellules de produire cette protéine, que le système immunitaire apprendrait alors à détruire. « C’est d’ailleurs pour combattre le cancer que l’on a tout d’abord commencé à explorer le potentiel de l’ARNm », rappelle le Pr Talbot.
Dans l’attente de nouvelles encore plus positives, nous envoyons toute notre empathie aux malades et surtout aux familles touchés par ce calvaire. Gardons espoir, nous espérons des progrès spectaculaires des traitements et de la recherche d’ici à 5 ans.